Quelques jours avant le départ de Rigobert Song de la sélection nationale du Cameroun, Fabrice Ondoa a accordé un entretien exclusif à Foot Mercato. Le gardien de Nîmes Olympique, champion d’Afrique 2017 avec les Lions Indomptables et titulaire lors de la CAN 2023 en Côte d’Ivoire, s’est exprimé sur plusieurs sujets notamment sur ses débuts à la Masia et sa relation avec les Lions indomptables et ses difficultés en club. Ci dessous, l’ensemble de l’interview :
Foot Mercato : dès vos 11 ans, vous faites le tour du monde avec Fundesport (une fondation crééé par Samuel Eto’o au Cameroun, ndlr). Que retenez-vous de cette expérience à travers laquelle vous vous forgez une solide réputation ?
Fabrice Ondoa : pour moi, c’était une très belle expérience. C’était une grande opportunité pour moi et pour énormément de jeunes. Beaucoup ont pu lancer leur carrière dans le foot à travers cette école. Ça m’a fait du bien car j’ai pu faire des tournois et j’ai ainsi été détecté par le FC Barcelone.
FM : cela doit être incroyable pour un jeune Camerounais de rejoindre un tel cador européen…
FO : c’est vraiment le mot, incroyable. Même pas seulement pour ce club, mais rien que de pouvoir intégrer une institution alors que l’on part de rien au Cameroun… Pour moi, intégrer l’un des meilleurs centres de formation du monde n’était qu’un rêve.
FM : en quoi le FC Barcelone est un centre de formation différent des autres ?
Tu étudies le football et tu vis d’une certaine manière. Tout cela te donne envie de devenir footballeur professionnel. Ça m’a donné une motivation supplémentaire.
«L’ancien directeur m’a dit que j’étais le Martin Luther King de la Masia»
FM : vous arrivez un an avant votre cousin Andre Onana en Catalogne. Quels souvenirs gardez-vous de cette cohabitation ?
FO : pour nous, ça a toujours été quelque chose d’extraordinaire de pouvoir être deux gardiens de haut niveau en provenance du Cameroun. A la Masia, André et moi n’étions pas dans la même catégorie mais nous vivions toujours ensemble. J’ai pu m’entraîner avec l’équipe première avant lui et j’ai pu lui expliquer les ficelles, comment ça fonctionnait plus haut. Quand ça lui est arrivé, il était déjà prêt.
FM : pensiez-vous pouvoir devenir le numéro un du Barça dans un avenir proche ?
FO : je pense que j’aurais pu avoir ma chance. J’ai une anecdote à ce sujet. Quand j’ai signé mon premier contrat professionnel avec le Barca, l’ancien directeur de la Masia m’a dit que j’étais le Martin Luther King de la Masia. Il m’a expliqué que j’étais le premier gardien africain à avoir signé un contrat pro avec le FC Barcelone. C’est quelque chose d’extraordinaire et ça montrait les attentes placées en moi.
FM : malgré cet engouement autour de vous, vous ne jouez jamais avec le Barça. Comment expliquez-vous cela ?
FO : des décisions ont été prises après et qui m’ont fait sortir de la Masia. J’ai fait des choix concernant l’équipe nationale du Cameroun. Je l’avais érigé en priorité et je voulais participer à la CAN 2015. C’est ça qui a chamboulé le système et on me l’avait fait comprendre.
FM : qu’est qu’on vous avait dit vraiment ?
On m’a gentiment rappelé que j’avais été formé dans l’optique d’intégrer à terme l’équipe première. On m’a dit que c’était un peu tôt pour rejoindre le Cameroun. J’étais professionnel car je jouais avec la réserve du Barça qui évolue en deuxième division à l’époque. Il faut savoir que ce championnat ne respecte pas le calendrier FIFA donc quand tu vas en équipe nationale, le championnat continue. Ça a été mon grand handicap. Je ne vais pas citer son nom mais quand je commence avec le Cameroun en 2014, je suis en deuxième division avec l’équipe B. Le coach de la réserve me dit : « tu viens de gagner la Youth League, tu as signé un contrat professionnel. Tu dois jouer. Mais si tu vas au Cameroun, je ne peux pas te garantir que tu joueras car nous allons faire jouer ton concurrent.» Je suis allé en sélection et je n’ai plus vraiment joué avec Barcelone.
FM : peu de personnes auraient tourné le dos au FC Barcelone pour le Cameroun…
FO : (il coupe) Pour moi, ce n’était pas négociable.
FM : cela doit quand même être un sacrifice douloureux. Quel était votre sentiment à ce moment-là ?
FO : deux ans plus tard, ça a payé (il remporte la CAN avec le Cameroun en étant élu meilleur gardien, voir plus bas). Mais à ce moment là, ça m’a fait du mal car je sentais vraiment que les dirigeants du Barça comptaient sur moi. J’aurais espéré qu’il y ait des sacrifices moins pénibles pour moi. Je n’ai pas de regrets. Je n’ai jamais été dans l’optique de négocier. Je comprends la position du club mais la mienne était inflexible. C’était le Cameroun avant tout.
FM : par la suite, vous faites Seville B, Ostende, Alaves, Istra, Auda, Nîmes. Comment qualifieriez-vous votre carrière ?
FO : j’ai pris beaucoup d’expérience. Je dirais qu’elle est un peu tumultueuse. Ce n’était peut-être pas ce que j’aurais choisi, mais je l’ai voulu. J’assume mes choix. J’ai toujours fait mes choix par rapport au Cameroun. Quand je choisissais un club, je voulais savoir leur position sur les Lions Indomptables. J’ai eu l’opportunité de discuter avec plusieurs bons clubs mais le fait de savoir que leur gardien titulaire pouvait partir plusieurs mois pour la CAN les effrayait. C’était inconcevable pour moi de ne pas pouvoir y aller. D’où le choix de mes clubs.
«La CAN 2017 ? Il y avait un vrai sacrifice derrière ce tournoi»
FM : vous l’avez dit plus haut : votre sacrifice pour le Cameroun a payé avec une CAN 2017 époustouflante à l’issue de laquelle le Cameroun remporte la CAN et vous êtes élu meilleur gardien du tournoi. Que retenez-vous de cette CAN personnellement ?
FO : c’est le meilleur moment de ma carrière car j’avais tout mis dans cette compétition. Il y avait un vrai sacrifice derrière ce tournoi. Je venais de signer à Séville et les dirigeants m’ont fait jouer en équipe B car il savait que cette CAN arrivait et que je ne pouvais pas être un titulaire. J’ai compris que si je débutais, je n’irais pas à la CAN donc j’ai préféré aller sur le banc. En arrivant au tournoi, je m’étais dit que j’avais sacrifié ma saison pour cette CAN. Je venais en plus de perdre une CAN 2015 où le Cameroun était favori. On avait une top équipe mais nous nous étions ratés malgré de belles qualifications. Ça nous a servis pour 2017 et c’était un double challenge pour moi. Collectif et personnel.
FM : et après la joie de ce tournoi, vous ratez la CAN 2021 à domicile. Est-ce que cela vous trotte encore dans la tête ?
FO : la CAN 2021 est un crève-cœur. Je remercie le Cameroun néanmoins car j’ai décidé personnellement de ne pas y aller malgré la proposition du Cameroun.
FM : ne pas disputer ce tournoi était votre choix ?
FO : pour moi, il est inadmissible que Fabrice Ondoa soit à la CAN 2021 alors qu’il est sans club. J’ai eu plusieurs personnes et cadres qui ont essayé de me dissuader. Ma décision était prise : je n’y irais pas. J’ai été au premier rang auparavant car pour moi un joueur sans club n’a rien à faire en sélection nationale. Je ne pouvais pas transgresser les règles que je défendais. Je me devais de montrer l’exemple passer.
FO : sur le moment, non, car on est focus. Mais maintenant, nous devons résoudre ce problème. Car nous avons des grandes échéances qui approchent à grand pas notamment les qualifications à la Coupe du monde au mois de juin. Nous avons besoin d’éviter les scandales extrasportifs.
FM : la situation est spéciale pour vous. André Onana est votre cousin et vous l’avez remplacé dans les buts durant cette compétition. Quelle a été votre relation avec lui durant ce mois ?
FO : rien a changé avec André. Notre relation est toujours aussi bonne. Comme on dit, 27 joueurs viennent à la CAN et il faut que tous soient prêts à jouer si besoin est. Ça part du plus jeune, Nathan Douala, à Aboubakar Vincent.
FM : comment Rigobert Song vous a annoncé la nouvelle ?
FO : le coach m’a rappelé l’importance du match capital et qu’il a juste besoin que je sois moi, tel que j’ai toujours été lorsque que je porte ce maillot. Surtout depuis que je suis revenu que ce soit face au Mexique, la Russie ou encore la Lybie, les performances sont au top et il n’a aucun doute que tout va bien se passer.
FM : Samuel Eto’o ne s’est pas exprimé sur la situation avec André Onana auprès du groupe ?
FO : non, il ne s’est pas exprimé sur ce sujet. Encore une fois, on ne sait pas qui a donné cet autorisation à André. Je pense que le président n’a pas parlé car nous étions déjà en pleine compétition et qu’il fallait tout faire pour rester focus. C’était le plus important.
«J’ai reçu beaucoup de coups de fil pour la suite !»
FM : à Nîmes, vous êtes remplaçant derrière Tao Paradowski. C’est aussi à cause de la CAN ?
FO : dès le départ, c’était compliqué. Je suis arrivé sans préparation et j’ai dû me préparer cinq semaines seul ou avec l’entraîneur des gardiens. La CAN est arrivée. D’où je venais, en Lettonie, le championnat se jouait pendant les vacances d’été. Quand je suis revenu en France, je n’ai pas pu jouer avec le club. En revenant de la CAN, le club a fait de bons résultats donc pourquoi changer ? Pour la saison prochaine, je commencerais avec tout le monde et la CAN ne sera pas là donc je pourrais faire une saison complète.
FM : vous comptez donc vous installer dans les buts de Nîmes la saison prochaine ?
FO : pour l’instant, la mission est de maintenir le club. Nîmes traverse des moments compliqués. Pour mon avenir, certaines portes qui s’étaient fermées par le passé s’ouvrent à nouveau grâce à la CAN. J’ai reçu beaucoup de coups de fil. Une fois que le maintien sera acquis avec Nimes, on pourra en discuter !
FM : cette CAN a l’air de vous avoir donné un second souffle !
FO : ça me fait du bien de revenir à ce niveau dans un groupe aussi excellent, ça me motive encore plus. Attention au Cameroun en 2025. Je vous le dis aujourd’hui ! Sans les blessures qu’on a eu, Mbeumo, Aboubakar, Njie…on peut faire de très belles choses !
FM : comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
FO : quelque chose de grand se prépare, je l’espère. J’ai seulement 28 ans. Je suis un gardien donc je peux jouer jusqu’à 38 ans, cela veut dire qu’il me reste dix ans de carrière. Au vu de la situation, je pense que j’ai tout à gagner. Pour l’avenir, cela présage de bonnes choses et tout est entre mes mains.
FM : imaginez-vous parfois votre carrière sans avoir fait le choix de privilégier le Cameroun ?
FO : mon sacrifice pour le pays a payé mais ça aurait sûrement été différent. Ce que j’ai vécu au Barça, personne ne peut me l’enlever. M’entraîner à 16 ans avec le groupe professionnel, être le premier gardien africain à avoir un contrat professionnel. C’est unique. Je sais que j’ai fait de grandes choses et que j’ai encore de belles choses à vivre.
*l’interview a été faite quelques jours avant le départ de Rigobert Song sur le banc du Cameroun.